Les polémistes aiment à remettre en cause les origines des choses. S’agissant du concept de Rêve éveillé et de ses applications en psychothérapie, certains ont ainsi douté que Robert Desoille fût l’inventeur de la cure éponyme, considérant qu’il était bien plus intéressé par les « images » que par l’inconscient.
C’est peut-être omettre que Desoille était avant tout un chercheur. Que ses sources étaient multiples et protéiformes, ses réflexions évolutives et son approche inscrite dans une approche à la fois critique et inspirante de la psychanalyse. Freud et Jung bien sûr mais aussi Flournoy, Janet, Daudet, Karl Happich, Eugène Caslant, Pavlov, Dolto… nombreux sont celles et ceux qui influencèrent, peu ou prou, ses travaux.
Le rêve éveillé, état intermédiaire et nuancé entre l’état de veille et l’état de sommeil, entre le » physiologique » et le » psychique » est, par essence, le reflet de ce réservoir inépuisable où le sujet a accumulé, depuis sa naissance, ses angoisses, ses craintes, ses désirs, ses expériences, lesquels demeurent, en tout état de cause et face au monde extérieur, les facteurs déterminants de son comportement.
Robert Desoille – Théorie et pratique du rêve éveillé dirigé (1961)
Ma découverte du Rêve Eveillé
Le rêve et les mythes m’ont toujours passionné.
J’ai commencé mon cheminement vers le Rêve il y a quelques années avec une psychothérapeute Jungienne expérimentée utilisant l’interprétation des Rêves, trouvant ainsi un écho à ce que j’ai toujours pressenti comme étant un outil d’évolution important.
Fruit d’une motivation personnelle, ce travail sur les rêves m’a beaucoup apporté. Il a même été à l’origine de ma reconversion au métier de Sophrologue.
Quelle ne fut pas alors ma surprise la première fois que j’ai découvert le Rêve Eveillé à l’ESSA pendant ma formation supérieure de Sophrologue spécialiste en Phénoménologie !
Une alliance, un lien devenait alors possible entre la Sophrologie et le Rêve. En effet la pratique que j’avais avec ma thérapeute revêtait une approche interprétative, c’était un enrichissement certain, mais cela ne me semblait, à priori, pas utilisable dans la pratique de la Sophrologie Phénoménologique.
Cependant les contours de la complémentarité étaient en train de se dessiner, grâce au Rêve Eveillé. Et il m’a fallu deux ans pour prendre conscience de ce qui m’apparait aujourd’hui comme une évidence.
Qu’est-ce que le Rêve Eveillé ?
Etudié dès 1923 par Robert Desoille (1890-1966), puis formalisé en méthode thérapeutique dans les décennies qui suivirent, le Rêve éveillé est un mode d’accès à l’inconscient et à l’imaginaire. En se centrant et en travaillant sur les images, il permet d’aller à la rencontre de son univers intérieur et d’en déchiffrer la symbolique.
Durant près de 40 ans, Desoille a fait évoluer sa méthode et publié de nombreux textes en lien avec ses travaux : « Exploration de l’affectivité subconsciente par la méthode du rêve éveillé » en 1938, « Le rêve éveillé en psychothérapie » en 1945, « Théorie et pratique du rêve éveillé dirigé » en 1961…
Sa méthode est principalement utilisée par des psychothérapeutes et demande au praticien une bonne connaissance des symboles car chaque séance comporte une phase interprétative à chaud à l’issue de la pratique.
Phase durant laquelle justement, l’accompagnement et l’interprétation du praticien accélère le processus de prise de conscience. Car le Rêve Eveillé résulte de l’influx nerveux sur les connexions neuronales. Son action est en elle-même thérapeutique, nous explique Georges Romey dans « Le rêve éveillé Libre, une nouvelle voie thérapeutique ».
Par le rétablissement de certaines connexions neuronales autrefois inhibées, les prises de conscience émergent alors chez le rêveur. C’est le mécanisme de plasticité cérébrale qui est à l’oeuvre.
Georges Romey est l’élève de Robert Desoille et le créateur du Rêve Éveillé Libre, qui est à mon sens, le prolongement phénoménologique du Rêve Eveillé Dirigé ou Semi Dirigé.
J’ai personnellement vécu cette frustration de rester interpellée lors de mes vivances par des images se manifestant spontanément, sans possibilité de donner sens à ce phénomène récurrent. Je sais donc qu’il peut être extrêmement profitable, dans cette quête légitime de sens, de pouvoir aborder ce sujet avec le praticien Sophrologue qui vous accompagne.
Pourquoi allier la Sophrologie Phénoménologique et le Rêve Éveillé ?
En premier lieu, par authenticité.
C’est mon parcours qui me pousse à inclure le Rêve Éveillé dans ma pratique de Sophrologue, de façon phénoménologique, car je ne saurais faire autrement.
La posture phénoménologie est pour moi capitale, non seulement dans ma pratique professionnelle, mais aussi plus largement dans ma vie et cela s’applique aussi au Rêve Eveillé.
En second lieu, car le terpnos logos sophrologique inductif proche de l’hypnose, que l’on peut rencontrer dans la conduite du Rêve Eveillé, n’est pour moi, pas phénoménologique. Un constat qui me paraît dommageable dans la démarche. Car à travers le Rêve Eveillé, le sophronisant peut justement vivre ses propres ressources, issues de son mythe personnel et familial mais aussi des archétypes.
Quel meilleur moyen pour cela que la phénoménologie ? La liberté au cœur de cette pratique évitera alors tout sentiment de frustration, d’échec voire de castration que peut ressentir le sophronisant quand il est trop dirigé.
Enfin l’aspect thérapeutique de la Sophrologie réside justement dans la Phénoménologie.
Il me semble donc adapté de l’introduire dans le Rêve Eveillé qui est par essence une méthode thérapeutique.
Pour finir, le phénomène qui sera produit et vu, n’est-il pas tout aussi intéressant que la solution de se ressourcer à partir du contenu phylogénétique des archétypes ? Comment se constitue l’objet de ma conscience, comment m’apparait-il ? Comment je fais phénomène avec cet archétype ? Quelle interaction ? Par quel prisme de perception ? Autant de renseignements aussi précieux et révélateurs que l’archétype en lui-même car ils relèvent du processus attentionnel.
Comment allier la Sophrologie Phénoménologique et le Rêve Éveillé ?
Le Rêve Eveillé Libre me semble être la déclinaison du Rêve Eveillé la plus proche de la Phénoménologie.
Le patient part de l’image qui lui vient spontanément, de ce qui se présente ce jour-là, et déroule son scénario. Georges Romey nous enseigne qu’il ne faut ni induire, ni intervenir et laisser le rêveur libre de prolonger autant que nécessaire son rêve; le scénario trouvant son dénouement dans les dernières minutes.
Je trouve son approche on ne peut plus intéressante car en accord avec le rythme propre de chaque personne.
Cela suppose en revanche de prévoir une plage horaire suffisante et de tenir compte de son caractère variable, ce qui n’est probablement pas le plus confortable pour les praticiens mais ô combien enrichissant pour le rêveur.
Néanmoins, il est possible de proposer pour les besoins d’un atelier collectif par exemple, un rêve Eveillé Semi dirigé, car la configuration du Rêve Eveillé Libre se prête plutôt aux séances individuelles.
Vous proposerez des archétypes de départ, en fonction de votre intentionnalité, ce Rêve éveillé pouvant alors revêtir autant de formes qu’il y a de rêveurs. Un terpnos logos sophro-phénoménologique, s’inscrivant le plus possible dans ce refus d’induction, laissera alors cette possibilité.
Je trouve par ailleurs très important de conserver le temps de phénodescription individuelle écrite ou orale, avant de proposer, ce que j’appelle, des clefs symboliques.
Cela permettra au rêveur de faire des liens entre les états de son corps et les symboles, dans cette phénodescription d’abord intuitive, à laquelle il pourra par la suite associer sa compréhension intellectuelle.
Je me refuse pour ma part (c’est mon positionnement !) à utiliser le Rêve Eveillé Dirigé.
Sans doute comprendrez-vous maintenant pourquoi !
Enfin, le lien réside également dans votre posture phénoménologique, votre savoir être de praticien, que ce soit celui du Sophrologue en Relation d’Aide ou celui du thérapeute en Rêve Eveillé.
Accueil, épochè, réduction, variation éditique, présence, sont les composantes de cette posture. Au même titre que le recul nécessaire pour extraire un début de sens à partir d’une série de 500 à 700 mots, dont les images s’enchainent parfois à toute vitesse, les mécanismes de protection s’exprimant parfois dans la profusion.
La vue d’ensemble et la prise de distance sont aussi les enseignements de la Phénoménologie. De la même façon le praticien se gardera d’aprioris et de facilités en ce qui concerne le décodage symbolique, avisé qu’il sera des multiples axes d’un même symbole, en fonction notamment de sa place et de son insertion dans une série, mais aussi, c’est plus surprenant, de sa forme.
Cette même posture phénoménologique d’ouverture voudra aussi que le praticien admette l’idée que l’interprétation se livrera tantôt à une lecture Freudienne, tantôt à une lecture Jungienne, voire encore à une autre lecture qui sera celle de l’alliance dans l’instant.
Pour finir, de nouveau par le terpnos logos sophrologique !
Rien n’oblige à utiliser des descentes inductives pour permettre au rêveur d’accéder au Rêve Eveillé.
J’entends souvent que les pratiquants du Rêve Eveillé peuvent avoir besoin de plus d’accompagnement, car ils ne sont pas forcément méditant et s’inscrivent plutôt dans une démarche de psychothérapie. Aussi vrai soit-il, ce constat n’entrave en rien la liberté que la personne peut vivre dans l’alliance sophro-phénoménologie ! Il relèverait plutôt de la directivité me semble-t-il.
Je pense que les pratiquants de rêve éveillé n’ont pas besoin de plus d’aide qu’un débutant en Sophrologie ou en Méditation de Pleine Conscience.
D’ailleurs, qui aurait besoin d’aider plus le rêveur ? Quelle partie de nous-même et pour quels besoins ?
Et puis quelle différence y a-t-il entre la détente requise pour vivre un lieu Ressource, une Projection-Spatio-Temporelle ou une séance sur l’Animal Conseil et la détente nécessaire pour pratiquer le Rêve Éveillé ?
Je m’interroge à ce sujet.
Alors, oui, la posture est importante, comme en yoga-nidra.
Desoille et ses « successeurs » préconisent aussi une position allongée pour le Rêve Eveillé, pour un relâchement total, en insistant sur une détente profonde. Le Rêve Éveillé peut toutefois se pratiquer assis comme en sophrologie caycédienne, bien que cette posture se prête plutôt à l’activation de la conscience quand elle est dynamique (en bord de chaise, dos décollé). Elle peut être aussi intégrative et confortable en fond de chaise, dos contre le dossier.
En conclusion, selon moi, la bonne posture pour le Rêve Éveillé est celle qui s’avère la plus confortable pour la personne !
De la même façon, j’ai pu pour ma part expérimenter et constater qu’une guidance phénoménologique des 3 techniques clefs, comme on peut les proposer à l’ESSA, est compatible avec la détente requise pour un Rêve éveillé sans avoir besoin d’insister outre mesure. C’est même à travers cette guidance qu’une réelle détente en pleine présence pourra s’installer.
J’ai eu par moments l’impression que c’était plus rapide pour les pratiquants que lors d’une guidance plus « dirigée ». De plus, les témoignages des rêveurs convergent dans le sens d’une grande liberté vécue lors de la pratique, toujours dans cette optique de laisser le sophroniste faire ses propres liens et vivre ce qu’il doit vivre, pour lui-même et par lui-même.
Là, pour moi, clairement, nous rejoignons la valeur fondamentale qu’est la Liberté.
Auteur : Manon Soupault – Sophrologue, Coordinatrice pédagogique pour ESSA Formations