« La Sophrologie est une Phénoménologie Existentielle« (Alfonso Caycedo)
C’est avec le regard émerveillé d’un enfant que je découvre la Phénoménologie, sujet vaste et complexe, mais dont l’appropriation par la Sophrologie dans sa démarche existentielle m’a permis de mieux l’appréhender. La Phénoménologie signifie étymologiquement « Allumer sa propre lumière », celle de notre conscience. En ce sens, la Sophrologie nous guide vers l’éveil de notre Conscience.
L’être humain est à la fois ouvert à l’avenir et en perpétuel devenir, en tant qu’être de projet, et attaché à un passé qu’il doit assumer en tant qu’il est « jeté dans le monde (Françoise Dastur)
La Phénoménologie est une question d’Attitude. En Sophrologie, la démarche consiste à adopter cette Attitude Phénoménologique qui va nous éloigner de notre attitude naturelle à nous tourner vers l’extérieur en nous invitant à regarder à l’intérieur. Il s’agit de la Réduction Phénoménologique de Husserl, pour lui tout ce que nous savons du monde vient de soi avant la connaissance.
La prise de conscience de soi passe par le corps (c’est par mon corps et à travers lui que je me sens exister). Au regard de la Phénoménologie, le corps est « le véhicule de notre être au monde et le moyen de faire exister ce monde autour de nous ». Parce qu’il est le support de notre conscience, la Sophrologie a placé le corps au cœur de sa Méthode.
L’attitude Phénoménologique dont il est question ici est un appel à soi « saisi dans le vécu immédiat de notre corps », une présence active (par la posture qu’elle suscite) à la manifestation de la vibration de vie qui porte notre histoire passée, présente et à venir. C’est un regard posé sur les phénomènes de nos vivances, qui symbolisent nos possibilités d’être et d’exister.
Par des procédés vivantiels qui lui sont propres, la Méthode va permettre de vivre cette rencontre avec soi-même dans des expériences concrètes de réduction et de libérer peu à peu les mémoires inscrites dans le corps (celles de l’enfant « jeté dans le monde »).
Mûrir, humainement parlant, consiste à vaincre l’aveuglement de l’autonomie du moi et du monde objectif, puis à découvrir le vrai Soi profond qui vit et œuvre librement en puisant à la source de son Être essentiel. (KG Durckheïm)
Par la pratique de la Relaxation Dynamique, nous découvrons une nouvelle relation à notre corps, nos perceptions, nos ressentis s’affinent, notre corps se « consolide ». Ce corps bien vivant, c’est notre schéma corporel que nous intégrons dans notre conscience d’adulte, qui va tantôt l’envelopper, tantôt l’incarner (la conscience illimitée dans un corps limité). Cette bipolarité de la conscience permet de se projeter à l’extérieur tout en restant à l’intérieur, ancré dans son corps, c’est-à-dire dans l’ici et maintenant (là où tout se passe, hors des projections). Les changements opèrent perceptiblement dans mon corps qui s’éveille à ma conscience, et dans ma conscience qui s’éveille à lui…
De cette alliance créée entre le corps et l’esprit naît « un Être à part », avec lequel nous nous confondons dans une dualité permanente : notre corps en tant qu’objet sensible ; notre corps en tant que sujet sentant ; notre Corps Propre.
D’entraînements répétés en vivances renouvelées, un espace se libère, un autre se crée, c’est la Région Phronique qui se constitue à l’abri de la confusion du monde. Le Moi Phronique, fraîchement conquis s’est affranchi du regard des autres. Cette prise de conscience phénoménologique me libère de mes projections « douteuses », et me fait changer de perspective… Comme le dit simplement Carlos Castaneda : les choses ne changent pas, tu changes ta façon de regarder c’est tout. Aussi, mon regard change et m’amène naturellement à m’interroger sur ma façon d’être au monde, et de relationner.
Confiants en nos capacités retrouvées, et en accord avec nos propres valeurs, nous pouvons nous projeter dans ce monde tout en gardant notre individualité propre. Dans ce processus d’ « individuation » je me désidentifie du monde extérieur sans pour autant m’en extraire, bien au contraire, « la conscience de soi, est en même temps la conscience de tout », écrivait Levinas.
La phénoménologie est une affaire de regard
Ce regard, la Sophrologie nous apprend à le poser sur les phénomènes de nos vivances (ils apparaissent comme autant de rébus que je ne cherche pas à éluder, par je ne sais quelle alchimie, des liens se tissent, ils se dévoilent d’eux-mêmes).
Dans la réalité objective de notre nouveau regard, nous comprenons que les choses ne sont pas comme elles sont, (comme l’affirmait Descartes), mais qu’elles peuvent être autrement (au regard de la Phénoménologie tout est possible), et surtout qu’elles sont autrement (grâce à la Sophrologie).
La chair apparaît comme le « sol » invisible qui soutient et qui rend possible le rapport entre le sujet et le monde. Cette chair ontologique me renvoie aussi à autrui : moi et autrui nous appartenons au même « tissu charnel (M. Merleau-Ponty).
La méthode nous conduit encore plus loin dans cette découverte de soi. En poursuivant mon exploration au cœur de ma biologie, je me rapproche de cette vibration de vie qui fait écho dans toutes les fibres de mon corps, jusque dans sa substantifique moelle. « Mes cellules toquent à la porte de ma conscience… De percussions, en résonnances, de phonèmes en phronèmes, Je m’adresse à elles dans un langage sacré… La cacophonie de ma confusion première se transforme en harmoniques. Une histoire se raconte, un transfert de savoirs que je ne sais encore dire. Du silence entre les notes nait une mélodie qui se fait entendre au loin, en écho à ses résonnances phroniques… Chacune des cellules de mon corps vibre de cette énergie primordiale à laquelle parfois je me sens connectée, à laquelle d’autres fois, je me confonds le temps d’une impression.
On ne connaît pas ses ancêtres, mais on les porte en nous, comme l’on porte l’origine du monde à travers eux, comme l’on porte un enfant à naître. Chacune des molécules de notre corps renferme la mémoire, la phylogénèse, la genèse de l’Humanité, nos racines ontologiques, celle de notre Humanité.
Les phénomènes qui se manifestent durant mes vivances raisonnent et résonnent dans mes pensées, ils viennent nourrir mes questionnements, étayer mes réflexions, me renvoyant à la pensée Cartésienne « Je pense donc je suis ». Comment pourrais-je croire que la pensée est la base de l’existence quand mes vivances me démontrent qu’il y a bien quelque chose au-delà de la pensée ? Au-delà de toute rationalisation, je ressens, donc je suis. C’est là que le mental s’efface, avec lui, le comment, le pourquoi. A la place une intuition, comme un acte de résilience, qui me remplit du sentiment de bonheur vital de savoir que rien n’est figé, que rien ne disparaît, que Tout est là, à portée de Conscience… « Personne ne peut rien vous révéler sinon ce qui repose déjà à demi endormi dans l’aube de votre connaissance.» (Khalil Gibran).
La conscience de soi est le sentiment spontané d’une valeur propre, une conscience chargée de la plénitude de l’être, remplie d’une promesse intérieure qui rend fort et sûr de soi, tout en procurant un grand calme ayant sa source en lui-même (KG Durckheïm)
Comme Kierkegaard, je « défie » Descartes, « plus je pense, moins je suis et plus je suis moins je pense ». Quand je suis, je suis là, dans le Da Sein de Heidegger, présente à moi-même et au monde, consciente de ma finitude, m’interrogeant sur l’éternité. Et quand je pense, il reste une saveur, une empreinte, qui me rapproche de cet essentiel dont j’avais l’impression de passer à côté, de cette « intuition des essences » que j’exprimais par ce sentiment de savoir sans pouvoir saisir…
Forte de cet apprentissage Sophrologique, je poursuis ma route dans une marche en avant non plus en tant qu’ « être jeté dans le monde », mais en tant qu’ « être-au-monde » qui se projette librement dans l’existence en accueillant « les choses de la vie » dans l’acceptation de ce qui est, et également de ce qui m’échappe, avec le sentiment que tout est à sa place, exactement.
Auteur : Souâd Amrous