Le chemin sophrologique ouvre la voie à une nouvelle expérience. Mais qu’est-ce que l’expérience ?
C’est l’action à travers laquelle je perçois immédiatement la réalité, à travers ma sensibilité.
L’expérience fait que l’enseignement ne reste pas cérébral mais vécu dans le corps.
L’expérience personnelle vécue et non comparable, non quantifiable, ni apte à être jugée par qui ce soit puisque, justement, elle est personnelle.
Dans l’expérience, je suis passive puisque je reçois des informations de la réalité, mais également active car la réaction à ce donné m’instruit, le contact avec la réalité y est formateur.
D’où une seconde caractéristique de l’expérience : elle est en général considérée comme un gain, puisque j’en tire un acquis, des enseignements. L’expérience enrichit.
Ainsi définie, l’expérience est irremplaçable. Personne ne peut la faire à ma place, puisqu’elle porte toujours sur des choses individuelles. Si on ne peut transférer sa propre expérience à autrui, on peut cependant le faire profiter de cette expérience.
En rédigeant ces lignes, j’ai toujours en tête le schéma très symbolique qui avait été noté au tableau lors de notre premier cours à l’ESSA :
DÉCOUVERTE — CONQUÊTE— TRANSFORMATION
DÉCOUVERTE – Se rappeler d’où l’on vient
Mon arrivée en sophrologie correspond à une souffrance morale professionnelle suite à une situation où je n’étais pas en accord avec mes valeurs profondes. Ajouté à cela un état de stress permanent et une grande fatigue physique et intellectuelle. A ce moment-là, même si je ne savais pas mettre les mots sur mon état, je sentais un malaise profond. Maintenant, avec le recul et l’expérience sophrologique, je dirais que je n’étais plus en lien avec moi-même.
Après les deux premiers cours de sophrologie, j’ai eu l’impression d’être à ma place, de respirer physiquement et mentalement : la bienveillance et l’alliance immédiates du groupe et des formateurs m’ont emplie de positif et d’énergie. Quand je suis retournée travailler le jour suivant, toutes les ondes négatives de mon environnement professionnel sont apparues de manière accrue : le ton agressif de certains, les collègues au comportement ou aux paroles négatifs, le poids des mots utilisés dans les mails reçus … Le contraste était difficile à supporter.
Puis, au fur et à mesure de la formation à l’ESSA, mon corps et mon esprit ont pu s’adapter à la différence entre la bulle sophrologique des cours et la vie au bureau plutôt agitée et agressive. Première expérience et premier pas vers l’un des principes de la méthode : l’adaptabilité.
CONQUÊTE – Observer ce qui se met en place. S’ouvrir à la notion de responsabilité.
Lors d’une conférence, Natalia Caycedo a dit :
Ce terme du verbe latin respondere (se porter garant, répondre de) est apparenté à sponsio (promesse). La responsabilité est le devoir de répondre de ses actes, l’habilité de répondre. Pour être capable de répondre, il faut être capable d’écouter. Écouter les autres mais aussi écouter notre voix intérieure, notre espace interne.
Pour ma part, il me semble indispensable de pouvoir répondre à la question suivante : suis-je capable d’accompagner un patient dans les techniques pour l’amener à conquérir son autonomie et donc sa liberté intérieure ?
La responsabilité de thérapeute me questionne, car je n’ai pas la certitude d’être capable à chaque occasion de la meilleure écoute possible, face à des difficultés qui dépassent mes expériences et connaissances.
Suis-je capable au quotidien, d’avoir la parole juste au bon moment ou du moins de ne pas me tromper, de ne pas nuire à l’autre, de ne pas le bloquer et de toujours positiver ?
Si mon chemin de vie m’a menée vers le métier de thérapeute, cela signifie de toute façon qu’il faudra au quotidien éclairer toujours plus mes zones d’ombre par des zones de lumière afin d’être cohérente, plus efficace et plus libre. Acquérir encore plus de conscience par la réflexion et les expériences.
Partager les expériences vécues, confronter les analyses avec d’autres, afin d’emmagasiner de la confiance et de la crédibilité me semble être aussi une démarche indispensable pour avancer.
Me libérer encore plus du regard des autres en m’enracinant encore d’avantage sur mes fondements, mes valeurs me semble aussi primordial.
TRANSFORMATION. Le début d’un chemin infini
La notion de schéma corporel comme réalité vécue a longtemps été pour moi un concept « mental » que j’ai eu bien du mal à vivre en cours et pendant mes entraînements personnels.
La lecture de Merleau Ponty a commencé à m’ouvrir aux perceptions corporelles. Selon lui, le corps est présence et ouverture à l’être et au monde à la fois dehors et dedans. Il est le moyen de communication avec le monde :
Percevoir dans le sens plein du mot (…),
c’est saisir un sens immanent au sensible
avant tout jugement.
Par cette phrase, le philosophe proclame le privilège du savoir corporel sur le savoir intellectuel au sujet de l’existence des choses qui nous entourent, et même la pré-séance du savoir tactile sur le savoir visuel.
C’est à ce moment-là que j’ai compris ce que Chéné nomme « les sentiments vitaux du Moi Phronique » et le rôle qu’il leur attribue : « L’intérêt de l’utilisation des sentiments vitaux est qu’ils sont de tout temps, dans tout être et qu’ils communiquent à celui qui augmente leur présence dans la conscience une force existentielle dense, remplie de substance, pas uniquement intellectuelle. Ainsi, ils renforcent le Moi Corporel en profondeur. » et j’ajouterais la puissance du phonème « JE » « SUIS ».
S’ouvrir à des valeurs nouvelles
L’expérience de la sophrologie m’a ouverte à une notion parfois oubliée tant l’ego a tendance à prendre de la place : l’humilité.
L’humilité est un sentiment qui consiste d’une part à prendre conscience de ce que nous sommes et du fait que nous ne sommes pas grand-chose, et d’autre part à nous accepter comme tel. Elle est en ce sens une condition indispensable à la fois à notre bien-être psychique (on ne se sent bien que si on apprend à s’accepter) et à notre progression éthique (on s’éloigne de l’image mensongère que l’ego cherche à donner de lui-même et l’on a de soi une perception plus proche de la vérité).
Pour le bouddhisme, dont la sophrologie s’est inspirée, l’humilité est la conscience par rapport au chemin à suivre pour se délivrer de la souffrance.
Petit rappel, lors du cours sur la sophrologie en milieu carcéral : les personnes incarcérées mènent souvent une vie tranquille jusqu’à ce que, à un moment de leur vie, dans des circonstances ou peut-être leurs valeurs profondes sont atteintes, elles commettent un crime ou un délit.
Là encore, il est important de mettre à distance ses a priori et de rester humble pour se rappeler que, peut-être demain, pouvons-nous devenir la personne assise sur le banc des accusés.
Comme nous l’a rappelé régulièrement un formateur, dans notre profession, il ne faut attendre ni reconnaissance, ni applaudissement. Ce métier s’exerce pour soi-même sans se vanter car, quand le patient va mieux, c’est seulement grâce au travail qu’il a fait lui-même vers son autonomie. Le sophrologue n’est qu’un ouvreur de possibles.
Auteur : Martine TONIUTTI