Il suffit parfois qu’accepter ou accueillir soit proposé dans le contexte d’un cours de yoga ou de séances de relaxation, de thérapie, de lectures spirituelles… pour que les réticences se manifestent avec vigueur.
Ah non, c’est insupportable ! Ne me demandez pas d’accepter de souffrir ! Justement je veux que ça s’arrête ! Je ne veux pas subir…
Il est toujours très intéressant pour chacun d’observer ce que cachent certains mots. Que peut-il donc bien se jouer ou se rejouer quand surgissent les clichés, les résonances associés à ces termes ?
L’accueil-acceptation serait-elle la « patate chaude » du développement personnel ?
Évoquer ce qui relève de l’accueil acceptation en sophrologie suppose d’insister sur les conditions dans lesquelles doit s’inscrire cette « intégration » du monde, de soi, de l’autre. C’est bel et bien d’epokê, de « suspension du jugement » dont il s’agit. Husserl et Caycedo ne sont pas bien loin. Et avec ce dernier, c’est une approche phénoménologique de la sophrologie qui émerge.
Retournons un peu aux choses mêmes si vous le voulez bien.
Vous me dites « accepter » ?
Je pense soumission judéo-chrétienne ! Je fais le parallèle avec les postures de victime et de rebelle, deux extrémités d’un même paradigme de subir.
Accepter entendu comme se soumettre. Et refuser d’accepter comme se rebeller. L’une et l’autre conduites agissent de concert en réaction à une variable extérieure.
Elles révèlent une forme de déresponsabilisation (victime, je subis l’extérieur), y compris dans la révolte qui constitue l’autre versant de la dépendance (guerrier, je lutte contre l’extérieur).
Ceci étant dit, même la colère générée peut être accueillie. Bienvenue à toi colère, tu es légitime aussi !
Petit exercice d’accueil-acceptation sophrologique
Posez-vous quelques instants avec ces deux mots.
Dans la posture où vous êtes en train de lire cet article, sans rien changer, fermez simplement les yeux et sentez votre souffle comme il est, sans le modifier.
Demeurez quelques instants avec ce souffle et les sensations qui l’accompagnent.
Puis invitez ces deux mots : accueillir – accepter
Quels ressentis vous gagnent instinctivement, spontanément ? Quand on vous parle d’accepter votre vie, d’accueillir votre situation ou votre état, quelles pensées, quelles émotions, quelles perceptions s’éveillent en vous ?
Ne triez aucune d’elles. Ne donnez la priorité à aucune de ces sensations. Détournez-vous de toute forme d’analyse ou de réflexion.
Contentez-vous d’observer !
Gorge, crâne, poitrine, estomac, pieds, oreilles, nez… que se passe-t-il en vous ? Laissez-vous venir. Tel un explorateur de sa jungle intérieure, examinez, regardez, envisagez.
Tout en restant présent à votre souffle pendant le processus, découvrez les phénomènes au rythme de leur évolution.
Laissez l’histoire vous être contée.
Les mots « accueil » et « acceptation » vont-ils réveiller des sentiments d’enfance, des choses que l’on « doit » accepter alors que, peut-être, elles ne coïncident pas avec ce dont vous avez besoin ? Vont-ils susciter du rejet, de la révolte, d’autres sentiments ?
Peut-être percevrez-vous le diktat de la pensée positive, les injonctions du bouddhisme, les exhortations du bien-être (ou du mal-être) véhiculées par les médias ? À moins que ce ne soit à nouveau le vernis judéo-chrétien qui s’impose comme une passivité ou un fatalisme dépourvu de libre arbitre ?
S’agissant de ce que vous ressentez, décrivez le quoi, le où, le comment.
Enfin, ouvrez les yeux. Vous venez… précisément de faire l’expérience de l’accueil et de l’acceptation (!) Voilà. Vous avez « accueilli », « accepté » un phénomène intérieur.
De l’accueil-acceptation à la libération !
Accueillir, accepter, ce n’est rien d’autre qu’observer ce qui se vit tel que cela se vit, sans chercher à atteindre un autre état (meilleur !). L’exercice n’est pas si simple à réaliser, car on a l’habitude d’enclencher le mental ou de juger ce que l’on perçoit.
Pourtant, il s’agit seulement de pouvoir accueillir ce qui est là. Donc y compris l’inconfort physique, une douleur, un état émotionnel compliqué s’ils sont là.
Comment ? En « dé-moralisant » le sens des mots accepter, accueillir.
Accepter n’est pas subir. On ne « reste pas sous les cailloux » (Isabelle Padovani) et l’action est toujours créative, possible, responsable. Il faut faire le constat premier, prendre la température de ce qui se vit, avec congruence, honnêteté, réalisme. Noter avec la bienveillance neutre de l’observateur ce qui se passe pour nous. Ensuite, un besoin va émerger. Une piste d’action, une voie va se dévoiler à la conscience.
Si l’on reste aveugle à notre réalité, nulle autre façon de « faire » ne peut émerger. L’accueil est donc primordial…
Oui je suis fou ! Oui je me maltraite dans telle ou telle situation ou période ! Oui je me sens coupable ! Oui je vis cette haine ! …
Accepter est aux antipodes du déni. C’est procéder avant tout à l’observation neutre de ma réalité objective : douleur, symptôme, mécanismes automatiques mis en place dans mes relations à l’autre ou à moi, etc.
Une réalité subjective devient alors objective, et donc lucidité, discernement, lumière.
L’acceptation est le préambule de l’action.
Pourquoi cheminer face aux automobiles sur une route ? Parce que vous pourrez réagir de façon adaptée et sécurisée.
Accepter, c’est cela : marcher face à ce qui est.
Accueillir-Accepter, c’est faire un constat sans jugement
Ni jugement, ni opinion, ni analyse, ni commentaire. Rien. L’observation, le constat neutre et bienveillant, constitutif de l’épokê, doit primer.
Ce constat conduit à une forme d’amour. L’acceptation est comme un oui à tout ce qui a tissé ma trame de vie jusqu’à me mener à « tel » comportement, situation, etc. Ce n’est pas un oui de victime mais un oui d’acteur-témoin de sa propre existence. Un oui libérateur en ce qu’il va, par l’amour témoigné à Tout ce qu’il découvre, permettre d’agir autrement, favoriser la naissance d’un « être au monde » différent.
Acceptation et accueil peuvent ainsi se vivre comme la première et indispensable condition de tout éveil.
L’étape suivante n’est envisageable que si on a pleinement conscience de là où on est ici et maintenant. C’est la condition d’un accueil libératoire dénué de jugement de soi ou de l’autre.
Le fait d’accueillir-accepter la réalité d’une souffrance physique diffère du désir de continuer à souffrir. Il serait davantage un interlude libérateur. En accueillant, il est fréquent que le symptôme puisse être posé et qu’ensuite une sortie soit possible.
Faites l’expérience en public si vous avez le trac. Vous pouvez chercher à lutter contre votre peur en commençant votre prestation et constater que la tension est plus grande encore. Ou bien vous pouvez respirer un grand coup et vous dire « oui j’ai peur ». Comme par magie vos craintes s’émoussent et la confiance vous gagne.
Nier le symptôme, en cherchant à le fuir ou à le chasser, c’est garantir qu’il perdurera.
Accepter un cancer, ce n’est pas accepter d’en mourir. C’est accepter sa réalité intérieure. C’est dépenser moins d’énergie à lutter contre un ennemi, mais plutôt cheminer avec un allié-équipier vers plus de bien-être.
Accueillir accepter, c’est poser un regard phénoménologique sur ce qui me perturbe
Inconfort, douleur physique ou psychique, maladie, conflit relationnel… comment accueillir-accepter ce que je serais tenté de fuir ou de bannir ?
Par l’observation de ce que je suis précisément enclin à ignorer ou à rejeter. C’est en effet en accueillant ce qui se passe en moi, tel un témoin silencieux et bienveillant, que je parviens à développer une estime de moi puissante et inconditionnelle.
Nouvel exercice d’accueil acceptation phénoménologique
Prenez quelques instants pour laisser l’horizontalité de votre pensée réflexive, éveillée par votre lecture, et pour vous installer dans votre corps. Investir votre espace intérieur dans sa verticalité, dans sa profondeur.
Là où vous êtes, quelle que soit votre posture, fermez les yeux et percevez votre corps de l’intérieur. Ses appuis, sa « tenue », les zones de tensions et celles de relâche, sa tonicité du moment…
Quelles régions appellent votre attention ?
En contemplant votre paysage intérieur, qu’est ce qui s’anime, se manifeste, émerge ? Quels phénomènes ? Quelles sensations, palpitations ? À quels signes de votre corps allez-vous prêter une attention fine, lente, décomplexée ?
Vous avez le temps. Profitez-en !
Laissez tout se déployer : captez le silence, le vide, le confort et l’inconfort. Observez le vide lui aussi.
Comment se porte votre météo intérieure ? Evacuez toute forme d’évaluation ou de jugement de valeur (bien/pas bien, gai/pas gai…). Concentrez-vous sur votre climat intime tel un navigateur attentif : calme ? Agité ? Saccadé ? Virevolté ? Tendu ? Chaotique ? …
Quel que soit cet état et sans chercher à résoudre quoi que ce soit, posez-vous la question : comment puis-je « accompagner » le mouvement qui me traverse ? Rester avec les soubresauts de ma seule présence ? Observer les tressaillements, remous, secousses de ma respiration ?
Restez avec cette effervescence, cette disparité de pensées et d’émotions qui vous emportent et réjouissez-vous de cette formidable souplesse adaptative de votre confort dans l’inconfort.
Les puissantes vertus de l’accueil
La pratique de l’observation-accueil vous permettra de développer une attention beaucoup plus fine de votre état réel tel qu’il est.
Mieux : vous serez de plus en plus attentif à vos besoins profonds et pourrez vous autoriser à les satisfaire. Vous ne succomberez plus à la toxicité d’une phrase entendue, d’un geste, d’une situation, d’un dialogue… Vous serez « présent » pour vous comme un accompagnateur attentif. Vous ne laisserez plus une colère être refoulée ou s’installer. Vous aurez la conscience et donc le pouvoir de mettre en place ce qui vous est apparu nécessaire.
Et puis l’observation-accueil est profondément thérapeutique et libératoire : votre vie va changer.
Car ce regard cultivé est celui qui peut tout regarder avec équanimité et bienveillance. Vous restaurerez donc quelque chose de fondamental : un lien d’amour à vous-même.
Vous réparerez ainsi ce lien de soi à soi.
Auteur : Isabelle Thomas