Jusqu’à 33 ans, j’ai l’impression d’avoir une vie toute tracée, bien réglée, bien contrôlée, bien remplie à cent à l’heure et qui me semble “normale”. Je me sur-investis dans mon évolution professionnelle en pleine ascension. A ce moment là, je ne m’en rends absolument pas compte, mais je suis tout sauf libre, et tout comme l’évoque Platon avec son allégorie de la caverne, je suis alors enchaînée au plus profond de ma caverne, prisonnière de mes habitudes, de mon conformisme et de mes croyances.
Dommage que je n’ai pas lu – avant l’épreuve qui m’attend – “A la recherche du temps perdu” de Marcel Proust, “le véritable voyage ne consiste pas à chercher de nouveaux paysages mais à voir avec de nouveaux yeux”. Et en même temps que je retranscris cet extrait, je me dis que si je n’avais pas vécu ce temps, je n’aurais peut être jamais fait ce chemin avec ce nouveau regard !
Revenons à la fin de l’année 2000, où un médecin indélicat m’annonce brutalement que j’ai un cancer.
La terre se dérobe sous mes pieds en quelques secondes… C’est violent… Sidérant… Il n’y a pas de mots en fait ! Je ressens comme un vertige.… Mon père ayant déjà eu un cancer, j’avais lu beaucoup de choses à ce sujet et je pensais avoir bien compris ce que c’était et ce que ça impliquait. Intellectuellement, peut-être… Mais c’est en le vivant dans tout mon corps et de façon assez brutale que je réalise qu’il ne suffit pas de comprendre. L’ampleur des émotions qui déboulent sans crier gare m’interpellent ! Y aurait-il une autre façon d’aborder et vivre sa vie ? Mais où étaient-elles ces émotions pendant tout ce temps ? Que se passe t-il ? Ce que j’entends autour de moi est très flou, brouillé et lointain, comme dans du coton.
Ce sera le début de la découverte des sensations, furtives mais bien là. Je me souviens avoir voulu reprendre le contrôle très vite malgré la sidération (sacrés réflexes…) et le milliard de questions qui se bousculent dans ma tête, qui tournent en boucle : traitements, enfants, travail, revenu, organisation, la mort…
Au départ, je crois que je n’aurai qu’à subir et me laisser injecter les produits avec tous leurs effets à double tranchant. Lors du 1er rendez-vous, je demande au Pr David Khayat du service oncologie de l’hôpital Pitié Salpêtrière (qui avait suivi mon père), qu’il soigne cette foutue maladie.
Il m’interpelle avec tellement de bienveillance et d’empathie :
ce n’est pas de la maladie dont je vais m’occuper madame, mais de vous ! et sans vous je ne peux rien.
Cela raisonne en moi sans que cela ne fasse encore tout à fait sens car je mentalise, je cherche à comprendre.
Mais qui suis-je au juste ? Il y aurait donc un Moi qui peut agir autrement que dans le faire et dans le contrôle ? On pourrait donc se battre tout en lâchant prise ? Toutes ces questions attisent ma curiosité comme un aimant. D’emblée, je leur fais confiance. Je dois donc me battre POUR MOI, maintenant, tout de suite, en y mettant toutes mes forces, toute mon énergie avec cette équipe à mes côtés… Ce sera ma première expérience d’alliance, d’ouverture, ce lien très privilégié et bienveillant qui me portera tout au long de la bataille car un respect de ma personne et une confiance mutuelle s’installent quasi immédiatement. Je ne suis pas la maladie, je ne suis pas un numéro de dossier, je suis Marie-Aude ! Un minuscule point de lumière se montre à l’horizon.
J’ai la pleine conscience d’être ailleurs
Mais je suis encore loin de moi… Je suis dans le passé, dans le futur, mais rarement ici et maintenant. D’ailleurs comment suis-je, où suis-je et qui suis-je ? Je ne sais pas… Cette prise de conscience n’est pas immédiate, il me faudra du temps. Je passe bien sûr par des phases de questionnements, de culpabilité, de doutes : « pourquoi moi ? qu’ai-je bien pu mal faire ? je paye quoi ? vais-je m’en sortir ? etc…», sans trouver les réponses bien sûr… Y en a t-il d’ailleurs et est-ce important finalement ? Je peux dire non aujourd’hui car si j’étais restée dans ce mécanisme, dans ce cercle de maintenance, je n’aurais pas vu qu’il y avait d’autres chemins possibles et je n’aurais probablement pas eu assez d’énergie pour la placer aux bons endroits dans la bataille, dans cette quête du moi, et être là où j’en suis aujourd’hui avec ce virage à 180°.
La sophrologie à l’hôpital
C’est trois ans plus tard lorsqu’on m’annonce une rechute, que je découvre la sophrologie à l’hôpital.
Quelques mois après le début d’un suivi psychologique de Dynamique Émotionnelle Exprimée en groupe à l’extérieur de l’Hôpital, avec le Dr Etienne Jalenques*. Objectif : aller chercher au fond de soi des émotions enfouies et simplement les laisser émerger, les accueillir et les exprimer de façon primaire sans analyse sur l’instant : rire, crier, pleurer, exprimer sa colère, ses peurs, sa tristesse… en répétant à chaque personne du groupe une phrase mantra choisie par le thérapeute, en fonction de notre propre situation et de notre humeur du jour.
La réaction des autres participants nous renvoie des émotions que parfois on n’imaginait pas ressentir et encore moins exprimer. Quand je sors de ces séances, je me sens légère, soulagée, détendue, vidée mais cela me permet aussi de découvrir certaines émotions enfouies et de les vivre ici et maintenant. Un travail de libération qui m’a rapidement mise sur cette voie du ressenti, de l’expression de ces ressentis, de la conquête de mon être profond, qui m’aidera beaucoup en sophrologie.
Un travail psychothérapeutique effectué durant 6 ans, pendant et après mes traitements de chimiothérapie, de radiothérapie, de curiethérapie, mes opérations, mes périodes de rémissions et de rechutes (il y aura une deuxième rechute en 2005), ce qui m’a permis d’aborder toutes ces épreuves avec un peu plus de sérénité et en tout cas les vivre pleinement y compris la douleur.
* Etienne Jalenques : Psychiatre ayant créé et développé sa propre méthode DEE (Dynamique Emotionnelle Exprimée). A 80 ans, il exerce toujours quelques jours par semaine. Il médite tous les jours et part en Inde au moins une fois par an où il rencontre son maître de méditation. Il a écrit plusieurs ouvrages.
Essayer la sophrologie
Lorsque j’expérimente pour la première fois la sophrologie, mon « terrain » intérieur est un peu préparé pour envisager de nouvelles expériences.
Je commence à quitter l’autoroute pour emprunter les chemins de traverse de ma quête intérieure sans limites. Quelle belle rencontre et quelle révélation ! Pendant les séances, je sens, je ressens ce qui est là maintenant… C’est nouveau et très agréable. Je me sens dans une bulle protectrice, il ne peut rien m’arriver. Je sens l’énergie qui circule en moi, entre moi et la sophrologue et mon ressenti des douleurs s’atténue. Je commence à lâcher prise, à faire enfin confiance, à me faire confiance.
J’accueille le silence qui me paniquait auparavant, j’ai de moins en moins peur. Ce n’est pas concret, c’est indescriptible et insaisissable, mais quel apaisement, quelle tranquillité…
Je me rends vite compte que je n’étais QUE dans le faire et bien loin de mes ressentis corporels et de mes émotions. Les premiers phénomènes apparaissent à moi.
Au début, c’est furtif, mon esprit vagabonde souvent mais j’observe néanmoins des sensations agréables nouvelles et inconnues (mollesse, chaleur, douceur…), des moments de détente salvateurs au milieu d’autres plus difficiles qui suivent les chimiothérapies, ça me fait du bien.
Un nouvel objectif s’impose naturellement à moi au bout de quelques séances : « Je dois et je vais m’occuper de moi et guérir, c’est vital et j’ai envie ! ». Ce seront mes premiers pas sur le chemin de ce qui est ! Lorsque je vis pour la première fois la SAP et lorsque je diffuse les 3 qualités dans tout mon corps, je ressors gonflée à bloc, j’ai l’impression d’avoir des ailes ! C’est sûr, je vais gagner et je vais vivre !
J’entrevois maintenant une porte que je ne remarquais pas auparavant, la porte de la sortie de la caverne ! Une porte ouverte sur de nouvelles expériences dans l’ici et maintenant et une nouvelle philosophie de vie. Je commence alors mon apprentissage illimité vers la liberté. Non plus seulement la liberté de faire ou d’agir, mais la liberté d’être, de me rencontrer enfin et de m’ouvrir au monde. Et même la liberté de me sentir agréablement libre ! Je réalise alors que « je suis » est permanent alors que ce que j’ai ou ce que je vis passe. J’aime d’ailleurs beaucoup cette allégorie (que me citait souvent mon thérapeute et dernièrement Pierre un peu différemment), qui s’éclaire en moi et prend tout son sens en avançant dans la formation spécialiste : “Je ne suis pas les nuages, je suis le ciel où passent les nuages. C’est sur le ciel de ma conscience que passent ma vie, mes désirs, mes amours, mes travaux…”. Ça change tout ! J’avance vers la clarté de ma propre conscience en voulant sortir de la caverne.
Je pars de loin ! Il m’aura fallu cette rude épreuve de la maladie pour que mon esprit s’ouvre, mon corps ressente, ma vision s’élargisse… que je sois !
Chercher la liberté grâce à la sophrologie
Intellectuellement, la liberté, c’est assez facile à comprendre mais quel travail… La liberté est un sentiment indicible, vécu. En premier lieu, me libérer de mes certitudes, mes croyances, mes peurs, mes habitudes, apprendre à lâcher mon mental pour laisser la place à tous les possibles, laisser la place au silence. C’est cette transformation qui, grâce à la thérapie de dynamique émotionnelle et à la sophrologie, m’invite à percevoir les choses et les personnes différemment avec ce nouveau regard, me permettant aujourd’hui d’accompagner les personnes qui font appel à moi.
Je découvre alors la liberté d’être, d’entrevoir les choses, le monde et les personnes autrement, en m’appuyant sur les erreurs d’interprétation et d’expériences que j’avais de la vie. Je ferai certainement d’autres erreurs mais comme l’a évoqué Mahatma Gandhi :
La liberté n’a pas de valeur si elle ne comprend pas la liberté de faire des erreurs.
Le Dalaï Lama quant à lui évoque les erreurs de la façon suivante : “Les seules vraies erreurs sont celles que nous commettons à répétition. Les autres sont des occasions d’apprentissage”.
Je me sens maintenant libre d’apprendre et de faire des erreurs, cela s’appelle l’expérience. (à suivre)
Auteur : Marie-Aude GOU
Extrait du Mémoire Sophrologue Spécialiste en Sophrologie Existentielle – ESSA – Avril 2015, Partie I