Le phénomène, le « se montrant de soi-même et non un objet circonscrit »
Quelque chose m’apparaît ce matin en ouvrant mes volets : se déploie sous mes yeux ce paysage de givre ; mon regard n’est pas le même et j’ai la sensation de percevoir au travers de mes yeux et non avec mes yeux : je suis happée, percevant quelque chose qui ne passe pas par le prisme de ma pensée : tout s’arrête dans un mouvement de suspension, tout est figé, tout est immobile, complètement immobile. Je reste ouverte : j’observe : sophrocontemplation passive du paysage … Qui observe qui ? Qui apparaît à qui ? Je me laisse surprendre, bien plus qu’à vouloir savoir… et j’accueille. Je me laisse sentir : je sens d’abord comme une présence en moi, cette vie intérieure qui coule, ce mouvement, ce flux de l’énergie ; puis cette sensation de présence semble s’élargir et dans ce mouvement je me sens alors parfaitement reliée à ce paysage, comme en osmose, plus de frontière, plus de barrière, plus de limite. J’ai comme l’impression que nous formons un TOUT, ancré au sol par les mêmes racines qui nous relient à l’énergie de la terre, captant les énergies du ciel ; les mêmes énergies qui nourrissent, parcourent ce TOUT.
Il n’y a plus de « avec, au coté, au milieu, dedans », non rien de cela : « tout dans la nature est uni non seulement en soi, mais aussi à la totalité ; rien ne s’est retiré de la trame de l’univers en proclamant une existence séparée : « moi » et le reste de l’univers » (TOLLE).
Tout est silence, tout est calme et cet espace sans forme m’a ouvert la porte d’un autre espace : celui de l’intimité, avec moi-même et avec ce qui m’entoure, dans lequel nous nous sommes reliés : «vous n’êtes pas séparés de la nature. Nous faisons tous partie d’une Seule Vie qui se manifeste d’innombrables manières dans l’univers tout entier, sous des formes complètement interreliées » (TOLLE). Une conscience unique, universelle, témoin silencieux qui nous relie ?
« En vérité, vous n’êtes pas qui a conscience d’un objet, d’une pensée, d’un sentiment, d’une expérience : vous êtes la conscience dans et par laquelle ces choses apparaissent » (TOLLE ).
Lâcher le mental : se désintoxiquer, lâcher prise
En empruntant le chemin qui conduit à la réduction phénoménologique, je rencontre des résistances, des tensions qui prennent leur source dans cet attachement que j’ai de la maitrise du geste, du mot, de l’action, de la situation, de l’attente d’un résultat…
Comment puis-je progressivement m’abandonner dans un autre espace, lâcher ce «petit moi » qui pense pour moi, me manipule et m’enferme, pour m’ouvrir à un autre « oui », ouvert et accueillant, « ce oui qui révèle en soi une dimension de profondeur qui ne dépend ni des conditions extérieures, ni des conditions intérieures de pensées et d’émotions toujours fluctuantes » (TOLLE).
Une réelle expérience qui m’amène face à moi-même, et à ce qui fait ce que je crois être. Il me faut alors reconnaître cette capacité que je possède et que je peux développer d’observateur attentif de moi-même pour regarder cette partie de moi qui réagit et qui dit « non ». Qu’est-ce que je (re) tiens, dans ce « poing fermé » ? En exerçant ce regard intérieur, équanime, que je viens poser sur ce qui se donne à voir dans l’instant, en m’installant dans une position d’abandon et par cette attention pénétrante qui m’amène au cœur du phénomène, je libère progressivement mon mental pour m’ouvrir à un espace beaucoup plus vaste : je commence à m’abandonner…, à lâcher…dans un silence qui devient de plus en plus dense et profond.
«D’une certaine manière, le lâcher prise est la transition intérieure de la résistance à l’acceptation ; lorsque vous lâcher prise, votre sentiment personnel cesse de s’identifier à une réaction ou à un jugement mental pour passer à l’espace qui entoure cette réaction ou ce jugement ; plus d’identification à la forme -pensée ou émotion- mais reconnaissance d’une conscience spacieuse » (TOLLE).
Je me sens alors libérée, comme remplie d’une lumière transparente dans laquelle le jugement et la dualité n’ont de place ; simplement il y a ce qui est, étonnamment stable, prenant une toute autre saveur que dans la conscience ordinaire.
Et plus j’avance dans cette expérience, sans celle à renouveler, plus je me lâche, et plus je m’abandonne, et plus grande est ma disponibilité pour accéder à ce qui se donne à voir. Se dessine alors devant moi un chemin d’ouverture, de plénitude, de confiance en la vie, sur lequel mes valeurs de responsabilité et de liberté prennent leur place.
«Vous serez libres en vérité non pas lorsque vos jours seront sans un souci et vos nuits sans un désir et sans peine, mais plutôt lorsque ces choses enserreront votre vie et que vous vous élèverez au-dessus d’elles nus et sans entraves » (GIBRAN).
Être dans l’Être
Chaque séance est un moment unique, privilégié, dans lequel tout bouge en permanence, et où progressivement va s’instaurer la relation dans la reconnaissance de ce qu’est l’autre, pour venir nourrir l’alliance.
Cette dernière fait appel à notre réalité objective, cette capacité qui se déploie progressivement dans l’éveil de notre propre conscience d’être, de revenir à nos phénomènes, de manière authentique, tout aussi dérangeant que cela puisse nous apparaître car confrontés à nos propres limites, nos mécanismes psychiques, nos croyances limitantes. Et c’est bien par cette prise de conscience absolument nécessaire, qu’il nous est permis de travailler sur nos difficultés, en faisant silence en nous même.
Il m’est alors plus aisé, dans cet état de disponibilité, d’accueillir l’autre pour ce qu’il est, en m’effaçant moi-même, pour me mettre à son écoute. C’est ainsi agrandir mes propres limites et installer un espace fait de présence à l’autre, dans lequel l’expression des sentiments, émotions, et tout autre phénomène puissent être accueillis, reçus et accompagnés, sans commentaire et sans jugement.
Dans cette relation de sujet/sujet, je veille à ne jamais donner de conseils, car je présuppose alors que je peux prendre la place de l’autre, voire que je sais peut-être mieux que lui. Je le dépossède alors de sa capacité d’existence, posture tout-à-fait contraire au fondement de la sophrologie.
Écouter l’autre c’est aussi l’accueillir dans sa globalité fait du verbal et non verbal, dans l’apparaître du silence qui permet cet accueil, dans ce qui se vit dans l’instant.
TOLLE définit ainsi l’art de l’écoute en l’ouvrant sur la dimension subtile de notre corps, et sur notre capacité à nous effacer pour laisser la place à l’expression de l’Être dans un grand TOUT : « lorsque vous écoutez quelqu’un, ne le faites pas uniquement avec votre tête ; écoutez avec tout votre corps. Ainsi, vous faites de la place à l’autre, de la place pour être […] la pensée n’est pas tournée vers ce qui a de l’importance, c’est-à- dire l’être qui existe derrière les mots et le mental […] . Et bien entendu, vous ne pouvez sentir l’Être d’une personne si ce n’est qu’à travers le vôtre. C’est ainsi que commence la réalisation du TOUT, de l’Un qui est amour. Au plus profond de l’Être, vous ne faites qu’un avec tout ce qui est ».
C’est aussi donner à chacun la liberté d’être là, de s’exprimer ou pas, sans projeter sur l’autre quelque désir que ce soit, mais en considérant que tout est en la personne, tout est évolutif et que selon le principe de « tendance actualisante » développée par Carl ROGERS « Tout individu possède de façon innée un système de motivation (la tendance actualisante) à savoir que l’être profond est orienté positivement vers la maturation, l’autonomie et les rapports constructifs avec autrui ».
Ainsi le rôle du sophrologue est de guider le sophronisant vers l’émergence et le déploiement de ses possibles, en respectant son rythme, pour l’amener à re-découvrir cette tendance actualisante, simplement installée dans la sécurité par la bonne posture, la bonne intention, la bonne voix.
«Je ne suis ni mes pensées, ni mes émotions, ni mes perceptions sensorielles, ni mes expériences. Je ne suis pas le contenu de ma vie. Je suis la VIE, je suis l’espace dans lequel TOUT se produit, je suis la conscience, je suis le présent, JE SUIS » (TOLLE).
Auteur : Catherine Dupont
Extrait du Mémoire Sophrologue Spécialiste en Sophrologie Existentielle – ESSA – Avril 2015, Partie I