Faire sa propre expérience de la pratique sophrologique
En dernière analyse la seule chose dont l’homme puisse être sûr c’est de sa propre expérience. (Carl Rogers, Autobiographie)
Au rythme de soi
Mon parcours en sophrologie est lent. Il n’y a plus là de jugement particulier, juste un constat de ce qui est : j’avance doucement, à petit pas. J’explore et j’absorbe les techniques à un rythme qui m’est propre, je reviens souvent en arrière pour faire et refaire, vivre et redécouvrir à chaque fois ce qui est nouveau, et à quel point ce qui ne l’est pas a malgré tout une saveur différente. Je ne me lasse jamais de refaire la Sophronisation de Base (y compris quand parfois je la trouve ennuyeuse et que j’explore cet ennui en lui laissant toute la place dont il a besoin).
Ça n’a pas été sans frustration au début, jusqu’à ce que j’accepte de lâcher le « tu ne vas pas assez vite et la formation avance sans toi » que mon narrateur intérieur prenait beaucoup de plaisir à répéter avec un ton un peu agacé. En devenant chaque jour un peu plus patient et attentif, en constatant comme cette attention est fragile et délicate et que je dois la protéger comme mon bien le plus précieux, le ton s’est fait d’abord plus doux, puis la phrase a changé : « Ce rythme est le bon puisqu’il est le tien.» Sur le même rythme tranquille, j’ai ainsi pu accueillir et accepter la lenteur, ma lenteur, ne plus voir en elle un défaut mais d’abord un phénomène, puis même un atout.
Je constate souvent un questionnement très proche de la part des sophronisants que j’accompagne. « Est-ce que je fais bien ? » « Est-ce que j’ai régressé ? » « Est-ce que cette problématique ne devrait pas déjà être réglée ?» « Je me demande si je ne fais pas du sur-place ? »
Il serait évidemment tentant de leur répondre, et je dois bien admettre qu’il m’est arrivé, les premières fois où cela s’est produit, de laisser échapper un « Mais non ! » et de me voir tenter une explication… laborieuse évidemment : comment savoir pour eux ?
Je l’ai heureusement compris assez vite, il me suffit à cet instant de laisser glisser cette envie de répondre et de simplement m’ouvrir un peu plus, d’accueillir ces doutes en laissant le silence se poser quelques instants ou quelques minutes, pour que la personne dispose de l’espace qui lui permette de comprendre et ressentir intuitivement qu’elle est à son rythme a elle. La musique du patient n’est pas la mienne, pourtant nous jouons ensemble à chaque séance et la plupart du temps la mélodie qui en émerge est harmonieuse.
Laisser de la place, démarche éminemment sophrologique
Que s’est-il passé entre le moment où je me disais « tu es trop lent » et ce temps présent où je pense « ceci est mon allure, donc elle est la bonne » ? La pratique ! La pratique sans cesse répétée et renouvelée des Relaxations Dynamiques, notamment des trois premières m’a permis de dépasser l’obstacle sur ma route : attendre que quelque chose se produise.
Ne nous dit-on pas dès la première sophronisation d’accueillir « sans rien attendre » ? Si bien sûr. Est-ce que je croyais le faire ? J’en étais persuadé. Est-ce que je le faisais ? Non, à l’évidence. Je ne sais pas ce que j’attendais, je voulais juste que cela soit à la fois grand, puissant et fondateur, comme une révélation qui m’aurait tout expliqué… Mais « tout » quoi ?
Au détour d’une RD1, alors que je nourrissais les tissus épithéliaux de mon premier système, cette attente a disparu, et c’est son départ soudain qui m’a fait prendre conscience qu’elle avait toujours été là sans que je m’en rende compte. « Profond sentiment » en inspirant, « bonheur vital » en expirant, ressenti de la peau comme si je la massais et l’hydratais longuement, je n’ai pas su décrire mieux ce qui se produisait, juste que c’était un instant précieux et unique et qu’il se suffisait à lui-même. Il n’y avait rien à attendre, tout à accueillir et recevoir.
Me libérer de l’attente, laisser de la place libre à tout ce qui peut se présenter pendant les séances en lui portant (enfin !) ce regard curieux et bienveillant qui nous est si cher… En la percevant qui s’éloignait, en pouvant pour la première fois la nommer, j’ai pu aussi accueillir la peur qu’elle contenait. Peur de sortir de la caverne et d’accueillir l’éclat réel des choses, peur de percevoir tout mon être différemment et de devoir recomposer chaque pan de mon existence, peur que ce chemin soit long, pénible et douloureux, peur qu’avancer ne m’oblige à sacrifier une grande partie de ce qui m’avait construit jusqu’ici. Je souris aujourd’hui en écrivant ces mots, en voyant que je suis quelque part sur cette route et que rien d’inquiétant ne s’est produit. Mes mains sur le clavier, mes pieds sur le sol et ma respiration qui ondule d’une phrase à l’autre, je mesure comme cette attente et cette peur étaient les seules choses à sacrifier, et comme il a été essentiel de les reconnaître pour pouvoir les mettre au loin et accepter qu’elles se présentent parfois à nouveau. A cette différence près que je perçois maintenant leur arrivée à travers mon corps et mes sensations avant même qu’elles ne s’installent.
Suspendre le jugement
Ce que je viens d’écrire, outre témoigner de mon propre cheminement comme si je faisais en quelques pages une phénodescription de ces dernières années, me permet d’exprimer ma manière de faire l’épochè : mettre entre parenthèses mon désir de vouloir la faire. Je m’explique : tant que j’ai voulu suspendre mon jugement, j’étais à côté de ce qui me permettait de le suspendre.
Vouloir à tout prix mettre de côté mes a priori c’était leur accorder quasiment toute la place qui était nécessaire à mon expérience et par là m’éloigner d’elle.
N’être que dans cette expérience me demande un effort, comme l’exprime si bien Malebranche : « Je sens que la lumière se répand dans mon esprit à proportion que je la désire, et que je fais pour cela un certain effort que j’appelle attention. » Pour être en mesure de produire cet effort, je dois sans cesse revenir à mes sensations corporelles, points d’ancrage avec la réalité de l’instant que je vis, puis graduellement à tout ce qui se dévoile autour. Une fois sur ce socle stable, peu importe si le jugement veut alors revenir : je le perçois quand il apparaît et l’invite à s’éloigner, il ne peut pas à cet instant compromettre ce qui se vit et m’imposer son prisme. Mon effort n’a pas à être de me crisper sur lui pour lui faire barrage, mais au contraire de m’ouvrir encore plus à tout ce qui l’entoure.
Quand cet effort est fait et quand je le répète inlassablement, non seulement il devient à chaque fois plus facile d’accès mais également plus évident et nécessaire. C’est lui qui me permet d’être entièrement là avec mes patients et d’effacer, au moins le temps de la consultation, tout ce qui n’est pas d’eux pour laisser à ce qu’ils apportent le temps et l’espace utiles et nécessaires pour parvenir à leur propre compréhension de leur monde intérieur et du monde qui les entoure… qui viendra ensuite, une fois qu’ils auront quitté le cabinet, enrichir la compréhension que j’ai de mon propre univers.
Auteur : David Marcon