La notion d’identité émerge là. Qui suis-je ? Qui est « je »?
Ce concept, cette notion du « je » est fondamental en sophrologie, tant par sa signification profonde que dans l’évolution d’une personne vers cette notion d’autonomie.
Ce « je » est d’abord pour moi la synthèse de la « réduction phénoménologique » de Husserl. Il est et symbolise l’essence même de l’individu.
Ainsi dans plusieurs exercices de sophrologie, Pierre Bonnasse le formule de cette manière: « Je » à l’inspire et « Suis » à l’expire. L’inspire permet cette prise de conscience de soi, au delà des mécanismes habituels et coutumiers des pensées, interprétations et projections sur le monde. Il permet de centrer sur le « je ». Il amène tous les aspects du « soi » dispersés à se rassembler comme dans une vidéo d’une assiette cassée que l’on passerait à l’envers. Ainsi grâce à cette réduction par le « je », l’expire permet de vivre le « suis », redevenir entier, faire l’expérience d’une qualité d’espace, d’ouverture, d’aise. Quelque chose se dépose et je peux « être ».
Mais à travers cette notion, je fais aussi le lien avec le thème de ce travail: lien entre le « je » et l’autonomie. En effet, l’utilisation du « je » est pour moi un véritable dynamisme d’autonomie. Il est utilisé pour désigner l’expérience d’un individu qui est conscient de faire un choix et qui assume la responsabilité du comportement qui découle de ce choix. (Je reparlerai de cet aspect fondamental qui relie obligatoirement autonomie et responsabilité. Hegel m’y aidera). Le « je » devient le terme privilégié pour exprimer cette expérience d’autonomie.
J’ai remarqué que les élèves en sophrologie au début de leur formation ont tendance à utiliser le « ON » anonyme et impersonnel, peu impliquant puisque fondu dans une masse imprécise. Puis peu à peu, et au fur et à mesure de l’entraînement sophrologique et de leur vécu phénoménologique, ils utilisent le « JE » autonome et responsable.
Sur un autre plan ce « je » me renvoie bien sûr à ma notion d’identité donc de conscience de moi. Cette conscience de moi alimente la confiance en moi et l’estime de moi. Cette notion est plus que concrète pour moi et alimentée par ma pratique de sophrologue.
En effet je prends en charge deux personnes venant pour des demandes autour de l’angoisse, anxiété et des difficultés à s’affirmer et prendre part (prendre leur part) dans la vie (dans ce qui est leur vie). L’une comme l’autre (même si je différencie bien les deux prises en charge) ont pu reconnaître, implicitement pour l’une et plus explicitement pour l’autre, des questionnements véritables quant à leur identité : sociale, corporelle (et le travail sur l’ancrage a été plus que bénéfique). Mais aussi identité en tant que personne digne d’être personne parmi les personnes ainsi que dans leur famille (et là tout le travail initié par Anne et Patricia autour de la Sophro-Généalogie, a été d’une richesse véritable).
Dans ces prises en charge j’insiste fortement sur les qualités, le remplissage de positif à la fin de chaque exercice proposé. Le renforcement de cette notion d’identité est également une voie royale lorsque je travaille avec ces deux personnes. J’ai proposé une visualisation du prénom lors d’une séance et l’une des deux personnes a souhaité retravailler plusieurs fois de cette manière. Elle y trouvait une inscription fondamentale de ce prénom en elle, comme une incarnation nouvelle d’elle-même. Elle se sentait ainsi plus « incarnée », plus réelle, moins « vaporeuse » si je reprends ses termes, avec enfin la possibilité d’ « être ». Ce travail a pu se poursuivre avec la « Sophro-projection spatio-temporelle » et déboucher sur un réel « nettoyage interne ». « Je me sens mieux en moi et me sens plus libre! » disait-elle.
Les phénodescriptions ont pu permettre également à ces deux personnes de mettre des mots sur les vivances et ainsi pointer certains ressentis en lien avec un vide, une certaine « béance identitaire » pour reprendre les propos de l’une d’entre elle.
Identité et autonomie vues par les philosophes
Allons plus loin et permettons-nous d’interroger les grands auteurs à propos de ce lien entre identité et autonomie… Je vous invite à faire un saut dans la passé en évoquant Descartes. Faisant lui aussi lien entre identité et autonomie, il dit que ce qui détermine l’homme c’est « la liberté infinie qui ne peut être définie que par soi ». Pour lui, notre autonomie est donc déterminée par nous. Kant, beaucoup plus tard, dira dans le même sens que l’homme se détermine lui-même. Il « transcende ce déterminisme grâce à son autonomie propre. Il est capable d’un choix autonome fondé sur sa propre loi ».
Hegel va plus loin et y apporte la notion de responsabilité. En effet pour lui l’homme est autonome donc responsable. Ainsi l’homme a l’autonomie de faire des choix de vie. Ces choix de vie le rendent autonome, mais pour Hegel cette autonomie le rend « digne et responsable ». En effet grandir c’est parvenir à assumer ses choix de vie et en être digne. Cette notion de dignité fut abordée à plusieurs reprises en tant que questionnement ou remarque dans les prises en charge que je décrivais précédemment.
La dignité d’être, de se voir reconnu parmi les autres et en être digne… La notion de responsabilité qu’évoque Hegel me rappelle ce que j’éprouvais pour la première fois lors de mon stage praticien et qui m’est apparu comme flagrant au cours de l’une des séances : je travaillais à la fois à permettre aux personnes de découvrir, appréhender et pratiquer la sophrologie mais mon but était aussi d’acquérir une autonomie dans mon rôle de sophrologue. Je pris alors conscience que cette autonomie qui se bâtissait peu à peu (grâce à la formation à l’ESSA, aux exercices pratiqués et à la prise en charge de ce groupe) me rendait responsable de ce groupe. Ainsi, plus mes compétences de sophrologue s’affirmaient et plus je me devais de rendre une qualité et une continuité aux personnes prises en charge par moi… J’en étais responsable.
C’est la prise de conscience de l’autre qui nous en rend d’emblée responsable. Levinas le dit fort bien dans le livre : « Ethique et infini »: dès l’instant où l’homme prend conscience de l’autre à travers son visage, il en est responsable. Cette responsabilité n’est pas sans rappeler la notion d’alliance. Alliance nécessaire à l’établissement d’une relation de confiance basée sur l’ouverture à l’autre, le respect de l’autre, la prise en compte de sa réalité (principe de la réalité objective) mais aussi la possibilité de vivre en pleine conscience les phénomènes qui se dévoilent dans l’absolu respect de la personne (loi de la vivance sophronique).
On voit bien là que mon autonomie (cette valeur dont je suis fier et que je revendique) ne peut être autonomie véritable en sophrologie que dans un rapport à l’autre fait de respect, ouverture et alliance. Celle-ci pourra alors concourir à l’autonomie de l’autre.
Cette alliance est, elle, basée sur la notion d’empathie.
Auteur : Bruno Schmidt
Formateur à l’ESSA