Selon les chiffres de l’OMS, il existerait plus de 400 Médecines Complémentaires et Alternatives (MCA) dans le monde. La sophrologie en fait partie. Un chapitre lui a d’ailleurs été consacré dans un livre publié il y a quelques semaines aux Editions Michalon.
Avec le concours de Marie-Aude Gou et Isabelle Talpain, sophrologues formées à l’ESSA, Anne Almqvist a activement contribué à la présentation de cette « pédagogie de l’existence » au sein de cet ouvrage de plus de 400 pages qui tente de réconcilier opposants et partisans autour d’un débat à la fois prospectif et constructif.
Médecines complémentaires et alternatives : regards croisés sur la médecine de demain
Développés sous la direction de Véronique Suissa, de Serge Guérin et de Philippe Denormandie avec la participation d’une cinquantaine de représentants et d’experts des MCA, ces « Regards croisés sur la médecine de demain » dressent un bilan à la fois sociétal, scientifique et « terrain » de ces « médecines douces » qui tantôt dérangent, tantôt séduisent, sans jamais laisser indifférent.
Les Médecines Complémentaires et Alternatives suscitent des questions, éveillent des soupçons, génèrent des craintes et provoquent des tensions. Dans un contexte national divisé entre les « pour » et les « contre », ouvrir le débat constitue une démarche préliminaire essentielle dans le but de comprendre.
Dès les premières lignes, l’enjeu est posé. Il ne s’agit pas de juger. Il n’est question ni de condamner ni d’encenser. Il convient de comprendre, de rassembler et d’envisager les conditions d’un avenir acceptable parce que raisonnable pour les MCA.
En ces temps complexes où l’invective tient lieu parfois d’argument, où la censure se substitue souvent à la réflexion, la tâche n’était pas aisée. Elle n’en est que plus méritoire.
Et comme pour prévenir les critiques de ceux qui verraient dans cette démarche une manifestation de naïveté, les auteurs s’empressent de préciser leurs intentions…
La démarche consistera à s’extraire autant que possible d’un cloisonnement de la pensée à partir d’une approche constructive que l’on pourrait synthétiser en une question : Comment favoriser l’intégration des interventions bénéfiques pour la santé et lutter contre la prolifération des approches déviantes ?
La sophrologie compte parmi les méthodes qui entretiennent un lien étroit avec notre système de soins
Thérapie non médicamenteuse, médecine traditionnelle, médecine intégrative, pratique de soins ou médecine non conventionnelle… les vocables ne manquent pas pour qualifier ce que le commun des patients nomme « médecine douce ». Y aurait-il une « médecine dure » ?
Pratique alternative portée par l’engouement croissant du grand public depuis quelques années, la sophrologie est une MCA « socialement acceptée » en France. Mais elle ne dispose pas encore du cadre juridique dont peuvent se targuer la chiropraxie ou l’homéopathie.
Pour Anne Almqvist, ce retard réglementaire s’explique en grande partie par l’hétérogénéité des formations proposées.
Disparités qualitatives des offres de formation existantes serait plus exacte.
Car si par exemple le Cycle initial de l’ESSA requiert 2 ans de formation en présentiel, il n’en va pas de même pour certains organismes qui promettent un diplôme de sophrologue en quelques mois et par correspondance.
Les conséquences pour les clients de ces sophrologues initiés à distance à l’art de la conscience harmonieuse interrogent.
Ils ne facilitent pas non plus les efforts de celles et ceux qui entendent dessiner un cadre adapté et homogène à l’enseignement et à l’exercice de la sophrologie.
Le choix de la méthode aussi, entre en ligne de compte. À l’ESSA, ce sont les pratiques et la méthode initiées par le fondateur de la sophrologie, Alfonso Caycedo, qui prévalent.
La fondatrice de l’ESSA a d’ailleurs été formée par le neuro-psychiatre colombien.
L’entretien SMILE avec Véronique Suissa
Docteur en psychologie et donc co-auteur de la publication sur les Médecines Complémentaires et Alternatives, Véronique Suissa a répondu aux questions de SMILE.
Bien qu’il soit dense et couvre de nombreux aspects des MCA, est-il exact de dire que votre ouvrage n’a pas une vocation « pratique » ? Autrement dit qu’il n’a pas pour ambition première de permettre au grand public de sélectionner une médecine non conventionnelle en fonction d’une maladie ou de symptômes identifiés ?
La vocation première de cet ouvrage est de proposer un état de l’art de la question. Dans cette optique, il s’agit avant tout d’apporter des repères au lecteur dans le but de lui permettre de mieux saisir ce mouvement dans son ensemble. Il nous a semblé essentiel d’apporter des réponses claires et pragmatiques au sujet de ces pratiques, de leur place dans notre société ou encore de leur impact sur la santé. C’est la raison pour laquelle nous avons proposé une approche globale et transversale articulée autour de trois axes d’analyse : (1) sociétal (2) scientifique et (3) de terrain.
En effet, ce livre n’est pas un « guide pratique » répertoriant les MCA et il n’a pas non plus pour ambition de recommander une méthode spécifique en fonction d’une pathologie ou de symptômes donnés.
Pour autant, dans la dernière partie de l’ouvrage, nous avons souhaité présenter un certain nombre de MCA. Toutefois, il ne s’agissait en aucun cas d’une démarche de conseil ou d’orientation auprès des usagers mais plutôt d’une approche visant à éclairer les fondements, les objectifs et les techniques issus de ces différentes MCA. D’ailleurs, le nombre limité de pratiques présentées ou encore le caractère synthétique des contributions limitent toute démarche d’orientation. Il s’agit davantage de proposer une sorte de « photographie » des MCA et des dispositifs (de soins, de recherche, etc.) existants.
Plus largement, l’objectif des trois coordinateurs était de proposer une approche inédite dans le domaine permettant de rassembler les « pour » et les « contre ».
Il s’agissait alors d’articuler une variété de « regards croisés » portée par une multitude d’acteurs (universitaires, politiques, institutionnels, praticiens, patients, etc.). Il s’agissait également de valoriser la notion de « soin relationnel » et de cheminer vers une complémentarité efficiente entre la cure et le care.
Certaines disciplines ne sont pas abordées dans votre ouvrage (je pense par exemple à l’étiopathie dont certains prétendent qu’elle pourrait être plus efficace que l’ostéopathie et trouve ses sources dans des pratiques ancestrales); sur quels critères avez-vous choisi les MCA à aborder ?
Le projet de l’ouvrage n’était pas d’être exhaustif. D’ailleurs, cela aurait été impossible au regard de la disparité des approches, du nombre de MCA, des enjeux, et des problématiques que sous-tendent chacune d’entre-elles ! Il s’agissait plutôt de présenter les réflexions issues de ses pratiques et non de chercher à les comparer entre-elles.
De plus, l’erreur serait d’affirmer que telle ou telle pratique apparaît plus efficace qu’une autre. Car cela dépend de nombreux paramètres (ex : attentes des usagers, formation du praticien, technique utilisée, etc.). Et puis, qu’entend-on par « efficacité » ? En bref, les critères d’inclusion n’étaient pas tant liés à des « MCA spécifiques » mais plutôt à leur place potentielle au sein d’une catégorisation que j’ai élaborée dans le cadre de ma thèse de doctorat (Suissa, 2017). Cette catégorisation a pour intérêt de distinguer un ensemble hétérogène de pratiques en fonction des rapports pluriels qu’elles entretiennent avec notre médecine à savoir :
- les médecines complémentaires encadrées juridiquement (ex : chiropraxie, ostéopathie),
- celles bénéficiant d’une forme de reconnaissance sociale ou médicale impliquant une intégration partielle sans pour autant être clairement encadrées (ex : hypnose, relaxation…),
- les approches éloignées des conceptions médico-scientifiques (ex : soutien spirituel, méthodes énergétiques…),
- et des méthodes douteuses et/ou clairement opposées à notre médecine (ex : thérapies de conversion, méthode Hamer…).
Pratique à risque » pour certains, « thérapie complémentaire » pour d’autres, la sophrologie ne fait pas (encore) l’unanimité. malgré les efforts de ceux qui prônent un cadre à la fois méthodique et éthique, tant pour la formation des sophrologues que pour l’exercice de la sophrologie. Que vous inspire cet état de fait ? Que manque-t-il selon vous pour que la sophrologie bénéficie d’un cadre juridique comparable à celui dont profitent l’homéopathie et l’acuponcture ?
Il ne nous appartenait pas de juger, a fortiori de hiérarchiser, les différentes médecines complémentaires et alternatives. Philippe Denormandie, Serge Guérin et moi-même cheminons depuis plusieurs années autour des questions et des enjeux liés aux MCA. Si nos champs d’expertise sont distincts (médecine, sociologie, psychologie), nous avons, depuis le départ cherché à comprendre ce mouvement complexe et dynamique à partir d’une approche globale.
Bien évidemment la sophrologie participe de ce mouvement en quête de structuration.
Si aujourd’hui, la sophrologie n’est pas encore pleinement référencée et intégrée c’est, selon nous, pour trois raisons essentielles :
- le manque d’études scientifiques assurant la pertinence et les effets potentiellement thérapeutique de la démarche ;
- la disparité des niveaux de formation dans le secteur,
- une communication insuffisante autour de cette pratique notamment auprès des professionnels de santé.
Plus généralement, la sophrologie comme d’autres pratiques complémentaires, souffre d’une approche dominante encore trop centrée sur la technique, la maladie, le symptôme. À ce stade, l’enjeu pour la sophrologie et plus largement pour les MCA, est de pouvoir s’associer davantage à l’approche médico-scientifique.
Il s’agit en outre de s’inscrire dans une démarche évaluative tout en repensant les critères d’évaluation ; définir plus clairement les objectifs des interventions sans pour autant nier des apports de nature globale ; de considérer les effets potentiellement thérapeutiques sans écarter une réflexion sur les impacts contre-productifs; coopérer avec les soignants dans une logique de co-construction et non de soumission.
Les MCA gagneraient à clarifier leurs objectifs et leurs méthodes tant auprès du grand public que des professionnels de santé.
Le sentiment d’être face à un « amas de pratiques », parfois analogues (ex : diversité d’approches corps-esprit), ou au contraire très éloignées (ex : pratiques manuelles, nutritives, spirituelles) limite la compréhension de ce mouvement.
Le débat gagnerait à s’extraire de « la pratique » pour cheminer vers un décloisonnement de la pensée autour de ce mouvement « dans son ensemble ».
Qu’est ce que cet ouvrage collectif, et notamment concernant la rubrique sophrologie, vous à appris sur cette discipline ?
L’apprentissage lié à cet ouvrage a été de saisir la diversité et la richesse des approches. Dans cette optique, la sophrologie apparaît comme un outil d’accompagnement complémentaire, à l’image des « pratiques psycho-corporelles » s’intégrant de façon croissante dans nos centres de soins (ex : hypnose, relaxation, méditation…).
Ce type d’approche contribue indéniablement au mieux-être et à la qualité de vie des usagers.
Nous avons également pu saisir des éléments liés à l’histoire de la sophrologie. Dans cette perspective, nous avons pu observer l’évolution de la place de la sophrologie dans les services de soins, certes naissante mais incontestablement grandissante (notamment en oncologie et en gériatrie).
C’est sans doute la raison pour laquelle les sophrologues ont cherché à structurer la profession, démarche salutaire ayant donné lieu à l’instauration de normes solides de formation. C’est également sur ce point qu’il faudra encore cheminer, pour mieux distinguer les sophrologues formés selon les normes établies, de ceux dont la formation demeure insuffisante.
Finalement, pointer conjointement les bénéfices, les risques et les dérives des MCA constitue une démarche essentielle pour réduire la confusion liée « aux pratiques » et mieux structurer les interventions des praticiens. Une telle démarche contribuera très certainement à favoriser l’essor de la sophrologie et sa reconnaissance tant auprès du grand public, des usagers et des acteurs de santé.
Comment avez-vous fait la rencontre d’Anne Almqvist ?
Lors du colloque que j’ai organisé (Suissa, 2018) – avec le soutien du laboratoire Psychopathologie et Neuropsychologie (LPN) de l’Université Paris 8 – portant sur les thérapies non médicamenteuses, Anne Almqvist avait déjà montré son intérêt pour cette manifestation scientifique. Constitué d’experts multiples (ex : universitaires, institutionnels, avocats en santé, psychologues, etc.) parmi lesquels Serge Guérin, co-directeur de l’ouvrage, ce colloque ouvrait une réflexion relative à la place des soins non médicamenteux dans notre système de soins.
À cet égard, la directrice de l’ESSA, intéressée par le programme de la journée, avait alors relayé l’information auprès de son réseau de sophrologues. Durant ce colloque, plusieurs sophrologues présents dans la salle étaient intervenus, exprimant les enjeux liés à leur profession.
Lors de la création du plan de l’ouvrage, ces réflexions marquantes nous ont conduit à penser l’inclusion d’un focus sur la sophrologie. C’est donc tout naturellement, que je me suis rapprochée de l’ESSA et de son réseau pour proposer cette collaboration d’écriture.
Celle-ci a été réalisée avec enthousiasme, efficacité, pertinence, réactivité et nous en remercions bien vivement à nouveau les auteurs.
Auteur : Eric Eymard