La vie est mouvement et tout ce qui la constitue est de passage.
Lorsque j’ai appris le décès de ma nièce et filleule qui était comme ma seconde fille, j’ai cru assister à la plus grande désorganisation de mon corps et de mon esprit.
On ne meurt pas à 23 ans en plein soleil, en pleine lumière…
Tout mon monde s’écroule : j’y étais bien installée dans la confiance de ce qui est durable. Confrontée à l’invivable, l’impensable, l’inacceptable, je refuse, je colère. Dans le moment de l’annonce, je ne comprends rien à ce que la voix dans le téléphone me dit, entre deux sanglots, tout s’embrouille puis je reçois un coup dans le ventre, j’ai saisi les mots et leur sens : Hélène ma douce Hélène…
Puis les pensées s’organisent dans l’urgence, vite il faut que je prévienne, vite il faut que nous partions, vite nous devons être avec les parents d’Hélène, avec sa sœur, avec notre famille. Je ne pleure pas, je dois être forte pour eux, pour les soutenir. Je dois être présente pour tous, pour ma fille désespérée qui perd ici celle qu’elle considère comme sa sœur.
Alors, je respire, je cherche à pleins poumons l’air salvateur, la délivrance pour un instant même fugitif. Je suis renvoyée à mon impuissance à mes limites propres. Mon corps est anesthésié. Est-il possible de vivre la pensée de la mort d’Hélène sans en faire une souffrance ? La libération de la souffrance est-elle dépendante de la sensation, de la pensée ? Ou bien indépendante des mouvements de mon corps, de mes pensées ?
La sophrologie peut aider à laisser la vie reprendre le dessus sur la mort
Durant les deux années qui suivent le décès d’Hélène jusqu’à il y a quelques mois, je suis dans la quête de la non souffrance et de l’acceptation.
A la faveur d’une première approche du cycle radical en immersion sophrologique intensive, trois mois après l’évènement, je m’effondre complètement. Je palpe toutes les énergies inscrites dans mon corps, qui y circulent, qui me révèlent la vie en moi, avant moi et après moi. Cette horrible sensation qui dévore mon être entier s’exprime enfin sans retenue. A cette vie bouillante que je perçois dans la sensation de mon corps s’oppose la pensée froide et rigide de la mort de l’autre.
Et cette évidence émerge : la morte prend la place des vivants. Les mots échangés comme expression post sophronique avec le formateur pendant ce temps précieux où je suis écoutée attentivement, deviennent les petits cailloux blancs d’un chemin vers l’apaisement.
Etienne Féron écrit :
L’autre meurt, c’est un lien qui se rompt, comme si le fil qui nous relie se cassait mais que je continuais à en tenir une extrémité dans les mains, tandis que l’autre bout ne serait plus rattaché à rien, créant un déséquilibre, un vertige ou une angoisse qui est la douleur même du deuil. De pesanteur d’être insupportable, le deuil devient vertige d’une absence, le manque de quelqu’un, où déjà se dessine le schème dans lequel les relations avec d’autres pourront se nouer. A la mort de l’autre, je suis investi d’une relation dont je suis seul à porter le poids, mais de sorte que le déséquilibre que crée l’absence du proche donne déjà à mon être une inclination qui me déporte vers les autres.
Cette souffrance à laquelle je dis non, je dois l’envisager avec un regard nouveau. Le questionnement devient récurrent et touche à quelque chose de beaucoup plus large : quelle est ma place dans ma famille, avec mes proches et plus largement dans le monde ? Quel rôle est-ce que je joue et avec quel masque ? Qu’est ce que je comprends de ma vie, au passé, au présent, au futur ?
Un profond travail commence alors, guidé par une magnifique sophrologue. Je plonge dans cette émotion, je la contacte, je la dévisage, je la scrute. Je suis dans l’accueil de se qui se passe réellement. Il n’y a plus d’évitement, je ne refuse plus ces émotions qui se présentent à moi, je les adopte avec bienveillance.
Je contemple ma souffrance, ma fuite et mon refus. Je considère le manque provoqué par l’absence, et le mode de survivance dans lequel je me suis installée. J’autorise l’expression de mon chagrin, pudiquement refoulé : je n’avais peut-être pas le droit d’avoir si mal alors que deux parents et une sœur ont vu leur vie basculer à jamais… Je visualise les moments passés avec Hélène, les doux moments où nous jouions à quatre mains au piano.
Ces moments positifs avec la méthode sophrologique, je les incruste en moi, dans la découverte de mes capacités ignorées : l’acceptation en est la plus émergente.
La Relaxation Dynamique m’offre de toucher à l’intemporalité et est comme une recharge énergétique.
Elle me permet de comprendre et d’apprivoiser ce qui me fait peur et j’utilise cette peur comme un langage précieux de mon corps. C’est une quête dans les ouvrages pour avoir des réponses à mes questions. Gandhi nous dit que ce sont nos croyances qui engendrent nos pensées et petit à petit notre destin. Je me libère quand je ne crois plus être coupable de souffrir, quand j’accepte enfin le départ.
Deux ans après, le piano, que je croyais fermé à jamais, m’offre de nouveau les notes cristallines naissantes sous mes doigts. Le rire clair d’Hélène résonne en moi comme un cadeau, et la petite cantate se fait entendre de nouveau. Même si plus rien n’est pareil.
Le monde autour de moi change, ou est-ce ma perception de ce monde ?
Le deuil ne sera jamais fini car la compréhension de ce monde est un processus qui ne s’arrêtera jamais.
Aller tout en dedans de la vie, dans son mouvement qui vient doucement se mêler à mon mouvement intérieur, dans sa musique et son silence, dans l’immense regard bleu de ma fille tout plein d’amour.
M’ouvrir d’une façon nouvelle à ce qui et là dans l’instant avec tout mes sens et à ce qui me tend les bras.
Jeanine Pillot écrit :
Le deuil consiste à transformer l’absence de l’être aimé dans la réalité extérieure en davantage de réalité intérieure.
Lorsque je rencontre C. pour la première fois, son histoire résonne fort en moi : elle a perdu son père il y 15 ans et vient de perdre son frère avec qui elle tissait des liens très étroits.
Tout ce qu’elle me décrit m’est familier, est bien inscrit. Mais ce n’est pas à moi, cela ne m’appartient pas; je prends la mesure de cette distance et je peux écouter sans contrainte.
Je peux à mon tour aider, offrir un accompagnement sophrologique et construire avec C. un chemin vers l’apaisement. J’accepte l’histoire de cet autre moi-même, j’écoute mes sensations, je les considère, puis je les écarte dans le respect de l’autre, pour construire cette alliance si précieuse.
Auteur : Brigitte Boulard — Formatrice à l’ESSA